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De l'Etat et des ONG

   La première forme de résistance contre les MGF (mutilations génitales féminines) était une résistance médicale et est apparue en 1920, lorsque la Société des médecins égyptiens a réclamé une interdiction de la pratique en raison de ses effets sur la santé. En effet, des articles publiés dans des magazines pendant les années 1950 ont continué à dénoncer cette pratique notamment Al Doktor, un journal égyptien, qui a publié un article critiquant l'acte des MGF, tout comme un magazine égyptien pour les femmes, Hawwaa, en 1957. Malgré l’attention portée aux MGF par le secteur médical et les efforts dans le but de les combattre, cette pratique est restée tabou au sein de la société égyptienne et a rarement fait l’objet d’une discussion publique. Ce sont les luttes des activistes comme Nawal el Saadawi, qui ont commencé à écrire ouvertement sur les MGF dans les années 1970, qui ont attiré l’attention de la société égyptienne vers ces pratiques.  

    D’ailleurs, Nawal El Saadawi, souvent appelée Simone de Beauvoir du monde arabe, est un médecin d’origine égyptienne, psychiatre, auteure et défendante des droits politiques et sexuels de la femme. Elle a récupéré des témoignages de femmes ayant subi des MGF, dont elle faisait partie, et a écrit le livre La Face Cachée d’Eve, «Je ne savais pas ce qu'ils avaient coupé de mon corps et je n'ai pas essayé de le savoir. Je ne faisais que pleurer et appeler ma mère à l'aide. Mais le pire choc fut quand je regardais autour de moi et la trouvait debout à mes côtés. Oui, c'était elle, je ne pouvais pas me tromper». 

Nawal El Saadawi

    Le dialogue sur les MGF a connu un changement drastique lorsque le gouvernement égyptien a accepté d’accueillir la conférence internationale sur la population et le développement (ICPD), organisée par l’ONU. En prévision de la conférence, Aziza Hussein et Marie Assad ont créé le Task force, une campagne nationale contre les MGF, dont  l’impact s'est étendu aux organisations et aux institutions professionnelles pour regrouper 60 organisations parmi lesquelles se trouvaient des groupes féministes et des activistes des droits de l’homme, des médecins, des universitaires et des organisations de la société civile de différents gouvernorats. Le Task Force a été établi pour favoriser le dialogue, soutenir les activistes qui s’étaient rendus dans les zones rurales et effectuer des recherches. Lors de cette période, le ministre de la santé a déclaré que les MGF étaient une rare pratique en voie de disparition. Or, le lendemain, CNN a publié une vidéo d’une fille égyptienne, Amira, âgée de 10 ans, en train d’être excisée  dans un salon de coiffure au Caire, et donc la pression internationale résultante sur l’état égyptien a suscité des discussions sur si les MGF devaient être interdites totalement ou pratiquées dans les hôpitaux. En conséquence, à l’automne de 1994, le ministre de la santé a autorisé les MGF dans les hôpitaux publics un jour par semaine, affirmant que le personnel hospitalier convaincrait les parents qui souhaitaient exercer les MGF sur leur fille, que la procédure était inutile. Il a également affirmé que l'hospitalisation protégerait les filles et entraînerait éventuellement la disparition de la pratique. Cependant, des rapports publiés quelques mois plus tard affirmaient que les hôpitaux ne décourageaient pas les parents et que les médecins pratiquaient facilement les MGF. En 1996, à la suite des résultats de l'EDS égyptienne révélant que le pourcentage de femmes / filles excisées étaient plus importants qu'on ne le supposait auparavant (97% des femmes entre 15 et 45 ans), le nouveau ministre de la santé a promulgué un décret interdisant la pratique des MGF dans les hôpitaux publics et les cliniques privées. Les MGF sont devenues un sujet de débat politique.

   Au XXIe siècle, suite au démantèlement du Task Force en 1999, sont apparus plusieurs mouvements de résistances contre les MGF : NCCM (conseil national de l'enfance et de la maternité), la plus haute instance gouvernementale chargée des droits de l'enfant, a fait des MGF une priorité nationale et a lancé en 2003 le plus grand programme anti-MGF : « the FGM free village Model » (le model d’un village sans MGF).

   Ce programme vise à changer les attitudes à l'égard des MGF en améliorant leur connaissance des aspects néfastes de la pratique, leur permettant ainsi de l'abandonner. En ayant recours à diverses méthodes d’éducation et de formation à l’intention des familles, des agents de santé et des chefs religieux, le programme vise à contrecarrer les pressions communautaires et culturelles qui ont conduit aux MGF. Au cours de la première phase (2003-2005) le projet a été mis en œuvre dans 60 villages de 6 gouvernorats, sa deuxième phase a débuté en 2005 et le nombre de villages a été doublé, passant à 120 dans 10 gouvernorats. À travers des discussions communautaires et des séminaires de sensibilisation, le projet a mobilisé des responsables locaux, des chefs religieux, des groupes communautaires et des jeunes pour faire des déclarations publiques contre les MGF. Un rapport publié sur l'impact de cette initiative donne des résultats positifs : 81% des femmes vivant dans un village où le programme a eu lieu ont déclaré que les informations qu'elles avaient reçues sur les MGF les avaient convaincues de réévaluer leurs points de vue, et 76% parmi celles dont les filles n'avaient pas encore été mutilées ont été convaincues de ne pas soumettre leur fille à la mutilation génitale. Les mêmes chiffres dans les villages où le programme n’a pas eu lieu ne sont que 30% et 17% respectivement. L'intervention s'est donc avérée avoir une influence positive sur les attitudes. Le conseil a également créé une ligne d’assistance téléphonique gratuite (16000, qui répond aux besoins et aux demandes des filles qui risquent d’être mutilée).

  L’ex première dame d'Égypte s’est opposée ouvertement aux MGF. En effet, elle a mené l’un des plus importants combats contre les MGF, en prononçant plusieurs discours et organisant des conférences contre les MGF qui, à cause de sa position et son pouvoir, avaient plus de poids que les évènements organisés par les ONG. Elle a également lancé une campagne nationale « Beginning Of The End » ( le début de la fin ), qui visait à sensibiliser et à élaborer des lois contre cette pratique. Avec son soutien, le NCCM (conseil national de l’enfance et de la maternité) a été créé en tant que quango (organisation quasi-non gouvernementale) et a été un des principaux groupes dont la compagne a conduit à la criminalisation des MGF en 2008

 source : Al-Ahram

Il vise à accroître la sensibilisation, à faire évoluer les comportements et élaborer des lois criminalisant les MGF. Le conseil tente également de mobiliser les communautés juridiques, médicales et des médias afin d’arrêter la pratique.  D’ailleurs, elle a pu pousser les chefs religieux musulmans et chrétiens à interdire publiquement les MGF et cela avait un impact plus important sur le nombre de personnes pratiquant les MGF que l'interdiction légale puisque la religion a été largement citée comme une cause majeure de

MGF. L’implication de Suzanne Moubarak a donné au mouvement de lutte contre les pratiques un dynamisme politique qui lui manquait. Or, à cause de la révolution de 2011, tout ce qui était lié au régime de Hosni Moubarak a été entaché et, par conséquent, les efforts de Mme Moubarak pour combattre les MGF ont été critiqués et accusés exagération, ce qui a empiré l’image du mouvement dans son ensemble.

Programme commun de lutte contre la mutilation génitale féminine

   L’UNFPA et l’UNICEF dirigent actuellement le plus grand programme anti-MGF à l'échelle mondiale qui met en commun les compétences des deux agences afin d’accélérer le changement et qui vise à mettre fin aux MGF en une génération. L’Égypte était l’un des huit principaux pays choisis en 2008 dans le cadre de ce programme. Plusieurs projets ont été entrepris notamment la campagne de Kamla (complète), en collaborant avec la Coalition d'ONG contre les MGF. Lancée en 2013, cette campagne de sensibilisation a diffusé des affiches avec des slogans tels que : « nos filles sont nées complètes alors pourquoi voulons nous qu’elles soient incomplètes ? ».

   La campagne de Kamla a également organisé des conférences dans 10 gouvernorats afin de renseigner les gens sur led aspects néfastes de cette pratique et elle a pu toucher 2 100 personnes en 2014. Ce programme a également travaillé avec les partenaires locaux pour renforcer la capacité des chefs religieux à changer les mentalités à l'égard des MGF dans leurs communautés. De plus, les deux agences ont suit, en collaboration avec les ONG partenaires, chaque année le statut socioéconomique, sanitaire et éducatif des filles et afin de détecter tout problème potentiel tel que les MGF, le mariage précoce et le décrochage scolaire.

    Enfin, ce programme a également utilisé les medias avec le lancement de la campagne de média national priorisant la télévision, la forme de média la plus consultée en Égypte. En effet, une campagne de publicité télévisée intitulée Kefaya FGM (kefaya signifiant "ça suffit" et FGM et l'équivalent de MGF en anglais) a été développée et menée tout au long de l'année 2015, diffusant  les témoignages de personnes dénonçant la pratique des MGF.

Centre d'assistance juridique des femmes égyptiennes (CEWLA)

   Le CEWLA a été créé en 1995 et considérée comme l'une des ONG les plus actives dans le domaine des droits de l'homme en Égypte, faisait partie du groupe Task Force Initial mis en place pour lutter contre les MGF. Dès lors, ce groupe a lutté contre la discrimination à l'égard des femmes. Le CEWLA  organise des discussions avec des dirigeants communautaires et religieux, des membres du parlement, ainsi que des représentants de diverses médias. Il propose également des services sociaux et un soutien psychologique, aux familles touchées par les MGF. Le CEWLA s'est battu contre les MGF pour que justice soit rendue dans les affaires très médiatisées qui se sont déroulées ces dernières années en Égypte, notamment dans l'affaire Soheir Al-Batea. L'organisation s'est heurtée à de nombreuses oppositions dans son travail et certains membres de CEWLA ont été directement pris pour cible par les autorités.

Limite de la résistance

  Nous assistons à une véritable évolution des praticiens. Aujourd’hui, les familles auront recours a des professionnels de santé pour pratiquer les mutilations génitales féminines sur leur filles plutôt que les praticiens traditionnels.

  La focalisation des activistes sur les effets nocifs des MGF (mutilations génitales féminines) sur la santé physique des femmes sans accorder le même poids aux effets psychologiques et sociaux ainsi qu'au fait que les MGF constituent une violation des droits de la femme, est considérée comme la cause initiale qui a contribué à la médicalisation des MGF. Selon l’OMS (organisation mondiale de la santé), la medicalisation des MGF signifie les situations dans lesquelles ces mutilations sont pratiquées par n'importe quelle catégorie du personnel de santé, et ce, peu importe où la procédure a lieu. 

    

    Avec la prise de conscience des égyptiens des risques que constituent les MGF sur la santé, la plupart des familles ont choisi de se tourner vers des médecin plutôt que des praticiens traditionnels (sage femme traditionnelle, coiffeur...) pour mutiler leur filles. D’ailleurs, les médecins sont perçus comme ayant davantage de «pouvoir» dans la société que les sage-femmes traditionnelles et seraient donc moins susceptibles d’être punis pour avoir pratiqué des MGF. Cela a été renforcé par le décret ministériel de 1994 qui a permis la pratique des MGF dans les établissements médicaux, une fois par semaine, afin que les médecins découragent les parents de pratiquer les MGF et de diminuer les risques sanitaires, ce qui a donné l’impression que la pratique des MGF n’est pas nocive si pratiquée par un professionnel de santé. De plus, un autre décret ministériel en 1997 a interdit les MGF sauf dans les cas «médicalement nécessaires». Ce décret a donc laissé la decision de la mutilation de la fille au médecin. Depuis 2008, la pratique des MGF est puni par la loi, peu importe le praticien.

 

  Une étude transversale menée en 2013 et approuvée par l’IFMSI (la fédération internationale des associations d'étudiants en médecine) portant sur 600 étudiants en médecine membres de l’IFMSA-Egypte (représentant 19 écoles de médecines en Égypte), a conclu que les étudiants en médecine étaient très peu informés sur les MGF (par exemple, 30.5% comprenaient bien les conséquences que posaient les MGF sur la santé et 49.5% savaient que la pratique des MGF était punis par la loi). En effet, la plupart des écoles de médecine ne traitent pas le sujet de MGF dans leur programme et quand cette pratique est inclue dans les livres, les professeurs l’abordent rarement. 

 

    La médicalisation d'une pratique telle que les MGF institutionnalise et normalise celle-ci, rendant plus difficile le processus d'abandon.

    Selon la DHS (Enquête Démographique et de Santé), en 2014, l’Égypte a connu une baisse de 13 % des femmes ayant subi des MGF (âgées de 15 à 17 ans). Cela peut être considéré comme un grand succès de la part des militants contre les MGF. Cependant, cette résistance présente des limites, elle est souvent contestée par la population, qui l’accuse d’être menée par l’occident afin de diffuser leur culture en Egypte, notamment par ceux qui estiment que cette pratique fait partie de la culture égyptienne. De plus, cette résistance est souvent considérée comme étant la cause indirecte de la médicalisation des MGF en Egypte

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