Qu'en dit la religion ?

Entretien avec Frère Adrien Candiard (réalisé par notre groupe)
L'Islam :
La question des mutilations génitales féminines a provoqué plusieurs débats religieux. Dès 1951, la revue Liwa Al-Islam a interrogé les grands érudits musulmans sur celle-ci, (notamment le Cheikh Ibrahim Hamroush, membre de l’Association des grands érudits religieux et président du Comité des fatwas à l’Université Al Azhar, M. Abd ElWahab Khalaf, professeur de Charia à la faculté de droit, et le Cheikh Mahmoud Bik AlBanna, membre de l’Association des grands érudits religieux). Ces derniers se sont mis d’accord que cette pratique est une coutume qui pourrait être abandonnée si jugée scientifiquement dangereuse. En 1998, des chercheurs de plus de 35 pays musulmans se sont réunis à Al-Azhar au Caire pour discuter des mutilations génitales féminines. Ils sont arrivés à la conclusion que les mutilations génitales féminines constituent une coutume et qu’elles ne sont pas obligatoires dans l'Islam. De plus, le 30 mai 2018, Dar al Iftaa, l’un des premiers établissements des fatwas (d’après le dictionnaire Larousse : dans la religion islamique, c’est une consultation juridique donnée par une autorité religieuse à propos d'un cas douteux ou d'une question nouvelle ; décision ou décret qui en résulte.) établit dans le monde islamique occupant ainsi en Egypte la première place des institutions islamiques ; a déclaré que les mutilations génitales féminines étaient religieusement interdites, affirmant que cette pratique ne survient que parce qu’elle est une tradition héritée, en ajoutant que cet acte « n’a pas d’origine religieuse » et qu’il constitue « une attaque contre la religion ». Afin de concevoir le point de vue de l’islam et donc de la loi islamique (charia) sur un sujet quelconque, les érudits ont recours au Coran, à la Sunna correcte, au Consensus ('Ijma) et au raisonnement analogique (Qiyas) sur lesquels est basée la loi islamique.
Tout d’abord, le coran n’a pas abordé le sujet des mutilations génitales féminines directement. Or, le verset 123 du sourate Al Nahl (Les abeilles) : "Puis Nous t'avons révélé: « Suis la religion d'Ibrahim (Abraham) qui était voué exclusivement à Allah et n'était point du nombre des associateurs. »" est cité par les érudits shafaa’is, qui déclarent les mutilations génitales féminines obligatoires, pour confirmer que la circoncision des femmes est demandée par l’islam étant donné qu’Ibrahim a été circoncis : " اِختتنَ إبراهيمُ عليه السّلام وهو ابنُ ثمانين سنةً بالقَدُّوم " (Ibrahim a été circoncis a l’âge de quatre-vingt ans). Mais l’inférence de ce verset est un raisonnement déductif, l’ordre de suivre la religion d’Ibrahim est plus grand et plus profond que la question des mutilations génitales féminines. En effet, « religion d’Ibrahim » veut dire les valeurs qu’Ibrahim prêchait : la dévotion à Dieu et son unification, ne pas suivre les polythéistes, c’est pour cela que al tawhid (le monothéisme) est mentionné dans le coran et non pas les mutilations génitales féminines qui ne sont qu’un détail mineur comparé au monothéisme est l'une des valeurs fondamentales de l’islam, (L'affirmation de l'unicité de Dieu (Tawḥīdu-llāh) est la première obligation du musulman lorsqu'il prononce la profession de foi: « J'atteste qu'il y a nulle divinité autre digne d'adoration qu'Allah et j'atteste que Mahomet est son messager. ») En outre, la circoncision d’Abraham, est la circoncision masculine qui diffère largement de celle des femmes, au niveau des causes, de la façon et des effets, la première étant pratiquée au nom de l’hygiène et d’après l’OMS elle apporte une protection contre différentes maladies (le syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA) ), alors que la deuxième consiste à ablater un organe responsable du plaisir sexuel et créer des complications dans la vie sexuelle de la femme et lors de l’accouchement, c’est également différent du point de vue religieux, puisque la circoncision des hommes est clairement mentionnée dans les textes, de plus, Mahomet a circoncis ses petits-fils et non pas ses filles et ses petites-filles.
Cela empêche l’utilisation du Qyias, en d’autres termes le raisonnement analogique qui désigne la procédure consistant à juger un cas juridique non mentionné dans les textes (mutilations génitales féminines), en le comparant à un autre semblable (circoncision masculine), pour lequel une prescription existe dans un texte, puisque dans ce cas, le comparé et le comparant se distinguent au niveau de la cause, de la façon et des effets.
Cette idée est reprise dans un hadith souvent utilisé pour justifier les mutilations génitales féminines (rapporté par l’Imam Bukhari dans le Livre de l’habillement (kitâb al-libâs) de son recueil Sahih Al-Bukhari (collection abrégée de Hadiths authentiques), citant la narration d’Abou Hurairah. Également rapporté par l’Imam Mouslim dans son ouvrage Sahih Muslim, citant la narration d’Abou Hurairah), que le prophète a prononcé : " الفطرة خمس: الختان، والاستحداد، وقص الشارب ، وتقليم الأظافر، ونتف الآباط " (« Cinq pratiques font partie de la Sitrah [saine nature de l’être humain] : la circoncision, le rasage du bas-ventre, la taille de la moustache, la taille des ongles et l’épilation des aisselles »), la circoncision de ce hadith fait référence à celle d’Abraham, et suivant la même démarche, « la circoncision » est la circoncision des hommes. Ainsi, les hadiths et donc la Sunna, (toutes les paroles que le prophète a dit, tous les actes qu'il a accomplis, ainsi que tous les actes et dires d'autrui qu'il a acceptés / approuvés), fréquemment citée pour justifier les MGF ( Mutilations génitales féminines ) sont soit mal interprétés et / ou faibles. Un hadith mal interprété et souvent utilisé est celui qui a été rapporté par Aicha dans la sunna authentique : "إذا التقى الختانان فقد وجب الغسل" (« Si les deux parties circoncises entrent en contact (relation sexuelle entre homme et femme), le bain rituel s’impose »). L’expression « les deux parties circoncises » nomme deux personnes mais en attribuant le pluriel au terme plus prononcé ou plus marquant, c’est le Taghlib, une forme stylistique classique de la langue arabe qui est utilisée dans d'autres cas (al Omran (Abu Bakr et Omar), al abawan (al om et al ab), al qamaran (al shams et al qamar),et comme cette forme linguistique ne signifie pas que les deux objets sont similaires, le circoncis est l’homme. Toutefois, si nous considérons que cette expression signifie que les hommes et les femmes ont subi cette pratique, cela ne révèle pas une obligation mais que les mutilations génitales féminines étaient pratiquées par les arabes. Quant aux autres hadiths qui mentionnent cette pratique, ils sont faibles. Deux d’entre eux comportent la même idée : le premier nomme hadith de Oum Attiyah, une femme qui pratiquait les mutilations génitales féminines, selon lequel le Prophète se serait adressé à elle en ces mots : "يا أم عطية : أَشِمِّى وال تَنْهَكي، فإنه أسرى للوجه وأحظى عند الزوج" (« Ô Oum Atiya, ne coupe qu’une petite partie et n’excise pas, car ceci sera plus agréable pour la femme et plus apprécié par mari ») ce hadith n’est pas fiable étant donné que la chaine de narration (isnad) était faible, cela est mis en évidence par l’imam Abu Daoud, le rapporteur, en affirmant qu’il avait été rapporté d’après Obaïd Allah Bin Amrou et d’après Abdoul Malik sur son sens et son Isnad et que la narration et le rapporteur étaient apocryphes. Le second, rapporté par Ibn Udai dans Alkamil fi da'fa' al-rijal fi tarjamat Khalid Ibn Amrou Al-Qurashi Al-Saâd, ce hadith est également non authentique puisque son rapporteur, Mandal Ibn Ali, n’est pas fiable. Tout de même, il interdit clairement la sévérité de la circoncision et fonde cette limitation à la fois sur le potentiel de nuire la femme et sur le potentiel de la rendre moins désirée par son mari. Par ailleurs, le troisième hadith faible, " الختان سنة للرجال مكرمة للنساء" (« La circoncision est une sunna pour les hommes et une makramah (acte vertueux) pour les femmes ») n’est pas fiable du fait que sa chaine de narration est faible, d’après Ibn Hajjar et Al Hafiz dans son commentaire sur l’ouvrage de l’Imam Ghazali La revivification des sciences religieuses. De plus, ce hadith, si considéré fiable, marque un contraste entre la circoncision des femmes et des hommes, en qualifiant la circoncision masculine comme une sunna et celle des femmes comme un acte vertueux. En dernière analyse, la sunna ne peut pas justifier ces pratiques vu que les hadiths qui évoquent les mutilations génitales féminines sont soit faibles soit mal compris.
Outre que le coran et la sunna, il faut prendre en compte le consensus ('Ijma) qui signifie l’accord sur un cas juridique des moudjtahid (les plus hautes autorités scientifiques) d'une même époque postérieur à celle du Prophète. Nous pouvons remarquer que les juristes éprouvent un grand désaccord sur le sujet des mutilations génitales féminines. Il y en a qui disent que c’est une obligation comme le cas de l’imam Ahmed Ibn Hanbal, pour d’autres c’est encouragé comme Abu Hanifa et L’imam Malek et enfin pour d’autre ces pratiques ne font pas partie de la sunna comme pour Al Shaaraway. C’est pourquoi, le consensus ne peut pas être utilisé pour justifier cette pratique.
En somme, les mutilations génitales féminines ne sont pas d'origine islamique et la religion ne peut pas servir à la justifier cette pratique étant donné que le Coran, la Sunna correcte, le consensus et le raisonnement analogique sur lesquels se base la loi islamique ne sont pas en faveur des mutilations.Étant donné que les normes d’un pays, comme les mutilations génitales féminines, constituent une source importante pour la jurisprudence dans la religion islamique, certains érudits ont défendu cette pratique citant ses effets bénéfiques et parfois des hadiths. En revanche, le hadith لا ضرر و لا ضرار" (« Pas de nuisance ni à soi-même ni à autrui ») narré par El Darkatny selon Abou Saïd El Khodry et a été jugé comme authentique par Al Hakim montre que l’Islam condamnera une norme néfaste comme les mutilations génitales féminines que la science a prouvé dangereuse et une agression sur le corps humain.
Le Christianisme :
La question des MGF (mutilations génitales féminines) ne figure pas dans la bible, mais cela ne veut pas dire que l’Eglise orthodoxe n’a pas une opinion vis-à-vis de ce sujet. Un manuel scolaire de religion chrétienne basé sur l'orthodoxie publié par l’éducation nationale égyptienne et donc enseignée aux élevés chrétiens en Egypte, exprime l’opposition du christianisme avec cette pratique strictement culturelle. Cela est dû au fait que l’excision s’oppose aux valeurs et croyances de la religion puisque, d’après l'orthodoxie, Dieu a créé l’homme sous une forme parfaite, à son image; chaque membre du corps a une fonction particulière, précieuse et utile ; les MGF sont donc considérées come une déformation du corps. L’homme n’a donc pas le droit d’intervenir dans la modification de la création sacrée de Dieu : « ou bien ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous et qui vous vient de Dieu, et que vous n'appartenez pas ? » (1 Corinthiens 6 : 19) « Si quelqu’un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. Car le temple de Dieu c’est saint et ce temple c’est vous » (1 Corinthiens 3 : 17). Dans ce chapitre du manuel figure aussi la dénonciation de l’idée que l’excision conserve la chasteté et la pureté de la fille avant et après le mariage, puisque la chasteté ne part pas du corps mais du cœur, de la volonté et de l’esprit « L’homme bon, de son bon trésor retire de bonnes choses : l’homme mauvais, de son mauvais trésor retire de mauvaises choses » (Matthieu 12 : 34).